1960. Une pièce sans fenêtre dans une prison ou un tribunal de Jérusalem. Et un homme au regard couvert d'un bandeau noir. Comme une double aveuglement. Une impossibilité de voir les choses en face. De voir l'horreur subie ou provoquée. Une pièce obscure où se confronteront bourreau et victime. Lui, Adolf Eichmann, rouage implacable de l'extermination nazie. Elle, psychologue israélienne meurtrie par la Shoah.
De leur confrontation, s'esquisseront des histoires. Histoires de vies brisée, de fortunes réquisitionnées, de déportations imposées. Des histoires de vie, inscrites dans la "grande Histoire" et qui prennent ici relief et tension. Histoire d'un engrenage inexorable aussi. Avec des fils de commandement qui s'enchaînent et semblent dédouaner chacun de la moindre responsabilité. Comme l'a démontré Stanley Milgram dès les années 60 dans son expérience sur la soumission à l'autorité.
Le Corbeau blanc démonte petit à petit ces artifices de dédouanement de responsabilité. Et décrit comment un homme, un monsieur tout le monde, même pas affreux, même pas vraiment méchant a pu devenir un maillon clé de l'Holocauste. Invitant par là-même chacun à s'interroger sur notre rapport à la soumission et à notre responsabilité face à nos actes.
Le message est magistralement porté par les comédiens qui rendent leurs personnages infiniment humains. Colères, impatiences, manipulations, espoirs, détresses et douleurs nous sont livrés avec tantôt vigueur, tantôt retenue. Toujours avec justesse. Entre maîtrise de soi hypocrite et violence des émotions ressenties. La mise en scène de William Mesguich règle ce face-à-face avec minutie. Faisant monter petit à petit la charge émotionnelle, lourde, de la pièce. Une violence symbolique savamment dosée. Profond. Et bouleversant.