Critique - Théâtre - Avignon Off
Les Soliloques du pauvre
Que leur effort soit sanctifié...
Par Karine PROST

Un plateau quasi nu. Un petit air sifflé, à peine audible. Puis le souffle de l'accordéon s'impose. Et une main. Semblant surgir des entrailles de la terre. Puis un mot, et un autre. Et tout un flot de mots, en rimes et musique, en gouaille et en vers. Des mots pour dire l'injustice du monde et son hypocrisie. Pour rendre la parole à ceux qui en sont privés depuis trop longtemps. Montrer l'humanité là on oublie trop souvent de la voir.
Et cette parole est portée avec une incroyable justesse. Par Pierre-Yves Le Louarn tout d'abord. Le comédien met tout son art, son souffle, son corps, son regard au service de la poésie de Jehan-Rictus. Il ne dit pas des poèmes, il ne joue pas un personnage, il "est". Il est ce poète des trottoirs qui tirebouchonne la langue française avec grâce et causticité. Pour nous la faire pleuvoir dans les neuronnes, les rinçant jusqu'à l'os, nous touchant jusqu'à l'âme.
Parole portée aussi par Sébastien Debard qui emplit l'espace de ses notes. Pleurées, dansées, saccadées. Des notes qui s'imbriquent dans les vers de l'auteur, les subliment, les soulignent. Les encadrent de silence ou de sons. A l'instar des lumières, sobres et précises de Franck Roncière.
On est ici entre théâtre et pas de deux. Car même si le spectacle ne relève pas de la chorégraphie, il en la grâce et l'unité. La légèreté apparente et la précision. La force et la délicatesse. Comme tendu sur un fil invisible. Un fil tendu pour eux par le metteur en scène et qui conduit les artistes sans les conditionner afin qu'ils nous donnent le meilleur d'eux-mêmes comme le meilleur du texte. L'équilibre est fragile mais il est présent tout au long du spectacle. Simple. Et brillant.