Enfin, un spectacle qui traite la question du genre. Mieux encore : du principe de non-binarité. Celui qui consiste à ne pas avoir à choisir entre le fait d’être un homme ou une femme. Cette possibilité d’être libre de rejoindre l’interstice, l’entre-deux. Non pas la marge, mais le milieu. Un milieu tissé d’inconnus, où tout est à inventer. Où tout, quelque part, est autorisé. Sans loi, ni gravité.
Cet endroit, l'auteur québécois Olivier Sylvestre l’imagine dans sa pièce La loi de la gravité : une presque-ville, un espace tampon entre la ville - codifiée, genrée, ridige - et la ville de l’au-delà-utopique, fantasmagorique. Dom et Fred, ses deux personnages de 14 ans, se rencontrent là, dans cette zone du dehors où les déchets cohabitent avec les étoiles. Eux-mêmes sont tiraillés entre deux extrêmes, tels des funambules qui tentent de trouver leur équilibre. Hésitant entre la norme, qui déborde de partout, notamment à l’école chez leurs camarades de classe et sur Facebook (défouloir d’invectives), et la marge, qu’il faut aller chercher.
L’interstice des possibles
Dom, lui, a déjà fait un grand pas vers la différence, en tant que fille biologique qui s’est affranchie de son genre. Iel emprunte ouvertement tous les codes du genre masculin : l’attitude, la tenue, l’énergie. « C’est dans du linge de fille que je me sens déguisé », avoue-t-iel. Puis, Dom assume aimer une fille de sa classe, Amélie.
Fred… C’est un peu plus compliqué. Né garçon, habillé garçon, il ne se sent toutefois pas comme ses « amis ». Et encore moins comme Jimmy, le caïd homo/transphobe du collège. Fred est sensible, sensuel, solitaire, abîmé par la mort brutale de sa mère. Isolé dans ce qu’il n’assume pas : ses propres questionnements autour de son genre. Se sent-il si garçon que ça ? Pas vraiment, non. Mais alors, comment ré-inventer son identité ?

L’union sonore
Pour raconter ces questionnements cruciaux à l’âge de l’adolescence, où tout tremble à l’intérieur, Olivier Sylvestre excelle. Sa langue québécoise chante, se percute à nos oreilles avec des mots que l’on n’a pas l’habitude d’entendre, mais qui pourtant résonnent (« s’en crisser » ? « Les plottes » ? « Pogner » ?). Et résonnent d’autant plus qu’elle est mise en notes.
Cécile Backès, directrice de la Comédie de Béthune et metteure en scène de cette création, a choisi d’ajouter ce troisième personnage musical, comme un trait-d’union entre Dom et Fred. Un dispositif instrumental organisé autour d’une batterie est installé en plein centre d’un échafaudage tout en couleurs, et quelque part joyeux, qui incarne cette Presque ville. Espace en hauteur où traînent des ordures et où se tissent les confidences.
Dom est incarné par Marion Verstraeten ; Fred par Ulysse Bosshard ; le batteur, Arnaud Biscay. Par la douceur de leur charisme, la délicatesse de leur présence et la complicité naturelle de leur rapport, ce trio nous embarque dans un conte urbain à la caresse subversive. Le sujet, complexe et douloureux lorsqu’il est vécu intimement, est ici investi par l’espoir, le courage et l’autorisation. Cette grâce qui émane de la pièce de Cécile Backès s’incarne en particulier dans les moments où le corps prend le relais du langage. Où Dom et Fred se mettent puissamment en mouvement sur des airs électros (l’envie de se battre), puis plus lentement sur des airs marins (l’envie d’être en paix avec qui l’on est).
À la fin de la représentation, s’ensuit un échange nourri entre la metteure en scène, son assistante Morgane Lory, les comédiens et le public, composé ce soir-là d’adolescents. Le respect pudique qui rythme ce moment laisse espérer une ouverture progressive vers d’autres modèles d’être, de penser et d’agir. Dans l’esprit des plus jeunes, comme des plus vieux.
Source : www.ruedutheatre.eu Suivez-nous sur twitter : @ruedutheatre et facebook : facebook.com/ruedutheatre