Critique - Spectacle musical - Paris
J'aurais aimé savoir ce que ça fait d'être libre
Oser la liberté
Par Cécile STROUK
Si Nina Simone a bien mené un combat, c’est celui de la liberté. Dans ses chansons, dans ses interviews, dans son énergie, elle a défendu ardemment cette valeur-là, qui ne peut exister, selon elle, que sans peur. Nina Simone en avait soif, dès ses 5 ans quand on l’a nommée pianiste officielle de sa paroisse en Caroline du Nord. Sa vocation contrariée de concertiste classique ensuite (rendue impossible par le simple fait qu’elle était noire) n’a fait qu’attiser ce besoin viscérale d’être. D’être elle en tant que femme noire, femme de génie, femme de caractère, femme en colère, femme révoltée.
Par ses luttes enflammées, Nina incarne un modèle. Une figure épique, même. Et c’est ce que nous (ra)conte Chloé Lacan dans « J’aurai aimé savoir ce que ça fait d’être libre ». Elle, la petite bourgeoise blanche parfaite sous tous rapports. Jamais un mot plus haut que l’autre. Dans l’obsession de plaire, d’anticiper les désirs, de se fondre à ce que l’on attend d’elle. Ficelée dans ses propres carcans. Jusqu’à la découverte de cette voix au couteau, ni homme, ni femme. Aux confins du blues, du gospel, du baroque, de la soul, du vodoo et de la jungle. Cette voix qui réveille chez la jeune fille l’amazone. Il a fallu cette rencontre sismique pour s’autoriser la possibilité d’être libre à son tour.

Au fil d’un spectacle tissé autour d’interstices musicales et de jeu habité, Chloé Lacan entremêle ses propres souvenirs d’enfance, aux côtés de sa grand-mère originaire d’Alger, à ceux de Nina Simone. La petite histoire se mêle à la grande histoire. Sur scène, elle chante, elle danse, elle crie, elle séduit et elle donne. Autour d’elle, plusieurs instruments : ukulélé, piano droit, caisses claires, accordéon… Chaque instrument symbolise un combat ou un lieu, indiqué par un drap, une pancarte ou des néons : une chappelle d’abord, la colère, la révolution, l’amour. Toutes ces choses essentielles qui structurent et rythment une existence qui cherche à avoir du sens.
Pour accompagner la voix charismatique de cette comédienne, un multi-instrumentaliste doué : Nicolas Cloche. À l’aise aussi bien au ukulélé, au piano et aux percussions. Un personnage à la fois présent et discret qui met en lumière la force du propos. En intensifiant les émotions qui émanent des mots. Le duo est complice, juste, convaincu de la qualité de ce qu’ils transmettent. Cette certitude, on la sent, malgré quelques moments d'injustesse. Notamment avec ce début étrange où le musicien attend pendant 8 longues minutes, seul et silencieux, sur fond (trop lointain) d’extraits d’interviews de Nina Simone. Alors que le public est là, plongé dans le noir, ne sachant si la pièce a démarré ou pas, la proposition créé une confusion, voire un agacement, qui finit par s’estomper quand Chloé Lacan entre en scène. Et qui revient, ponctuellement, face à un maniérisme pourtant pas nécessaire pour nous convaincre. Leur seul talent suffit.
Cela n’enlène rien au souffle éloquent qui porte cette pièce intime et musicale sur l'importance d'être soi. Et personne d'autre.
Source : www.ruedutheatre.eu Suivez-nous sur twitter : @ruedutheatre et facebook : facebook.com/ruedutheatre