N’est-il pas délicieux de lire, au hasard de la Gazette de Bergerac, que « Cyrano n’est pas un genre, mais avant tout un état d’esprit, une manière d’être » ? Que « les femmes aussi ont envie de parler de bravoure, de sensibilité, de poésie, d’idéal de vie » ? En somme, que les femmes veulent, peuvent et aiment être des « héros romantiques ». S'approprier la force symbolique de ces deux mots en se délestant de l’équivalent féminin pour dire l’égalité. Voilà le pari - gagnant - du Théâtre Les Pieds Nus. La salle est pleine à craquer, de personnes de tout âge. Preuve que nous sommes fin prêts à accepter la puissance du féminin ?
Lorsque nous avons dit ça, quelque part, nous avons tout dit. Du moins, tout dit du propos défendu par cette adaptation contemporaine, engagée et féministe de Cyrano. Ici, sur la scène du théâtre du Funambule, ce sont trois femmes qui s’emparent du lyrisme de Rostand ; trois femmes qui lui insufflent une nouvelle poétique du genre ; trois femmes, enfin, qui lui apportent une truculente dimension théâtrale. La beauté hypnotique des masques, les envolées lyriques de l'intrigue, le travertissement fluide, les combats chorégraphiés, l'éclairage aux chandelles… Nous sommes gâtées, vraiment.
Nos “héros” contemporains que sont Iana-Serena De Fritas, Lucie Delpierre et Marjorie de Larquier, prennent possession de la scène avec un tel charisme qu'elles fissurent, à elle trois, toutes les conceptions patriarcales (du théâtre).

Mais, au-delà de la qualité de leur jeu, elles se font les chantres puissants du romantisme. Le Cyrano éperdu, coincé dans ses fantasmes amoureux. Qui enfouit sa passion pour sa cousine Roxanne, amoureuse d’un autre. D’un plus beau. D’un homme sans péninsule. Sans panache aussi. Christian, un éphèbe qui se sait inconsistant et à qui Cyrano prête sa voix, ses mots, sa poésie, ses emphases et ses dérélictions. Conscient de l’imposture mais trop amoureux de l’amour pour la révéler.
Nous revivons cette conquête de l’amour avec le frisson d’une redécouverte dont on ne pouvait soupçonner l’excellence. Aucune anicroche. La langue est maîtrisée. Mieux, habitée, comprise, aimée, savourée. Les comédiennes se délectent et nous aussi. L’empathie circule à plein régime, comme un fluide aphrodisiaque. Nous finissons par tomber, nous aussi, amoureuses de leur panache.
Source : www.ruedutheatre.eu Suivez-nous sur twitter : @ruedutheatre et facebook : facebook.com/ruedutheatre