On se souvient d’Orlando monté par Bob Wilson dans ce même Odéon avec Isabelle Huppert en 1993. Le metteur en scène et l’actrice y développaient une vision très codée, sur le mode kabuki, du héros énigmatique peint par Virginia Woolf, dans son bref roman paru en 1928. Tout autre est la manière de Katie Mitchell avec la troupe, toujours aussi bluffante, de la Schaubühne de Berlin dans ce spectacle coproduit par l’Odéon.
Selon un procédé éprouvé, la metteure en scène fait filmer sur scène les tableaux de cette biographie imaginaire et parodique, histoire drolatique d’un jeune noble anglais piqué de littérature, au sexe douteux, entré à la cour de la reine Elizabeth 1re, à la fin du XVIe siècle. Simultanément, les images de ses péripéties jouées sur scènes sont projetées sur un écran géant au-dessus du plateau. On suit ainsi sur deux niveaux l’itinéraire de l’être fantasque, qui, suite à une déception amoureuse, s’exile à Constantinople, et pique un petit roupillon (évalué à trois siècles…) avant de revenir à Londres toujours aussi jeune et fringant mais en femme, pile en 1928, année de la parution du livre. A travers une fenêtre ouverte sur le coin haut de la scène, côté cour, on voit la lectrice qui lit magnifiquement en allemand (surtitré) le texte de Virginia Woolf, donnant à sa lecture tout le piquant requis par la description de l’insaisissable Orlando, personnage inspiré(e) par Vita Sackville-West, romancière avec laquelle Virginia Woolf entretenait une liaison fiévreuse (voir les extraits de leur correspondance dans le livret donné à l’entrée de la salle).
Mais les séquences filmées sur scène pendant qu’elles sont jouées ne sont pas les seules. S’y ajoutent des scènes hors champ filmées en extérieur où Orlando, écolo avant l’heure, exprime son enthousiasme pour les curiosités, les beautés de la nature. Le tout est mixé allègrement, les séquences alternent à un rythme soutenu, si bien que le récit prend une tournure picaresque, les aventures se succédant bon train. Très transgenre, Jenny König, l’actrice qui joue le rôle d’Orlando, souvent filmée en gros plans, donne au spectacle une allure cocasse de film muet, ponctué de gags à la Buster Keaton. Et les autres comédiens ne lui cèdent en rien sur la verve comique.
Comme par magie
On reste admiratif devant la dextérité et la célérité avec laquelle la troupe berlinoise passe d’une séquence à l’autre, installant et faisant disparaître tels ou tels décors comme par magie. Parmi ceux-ci, rien moins qu’une carlingue d’avion et deux rangées de siège où Orlando prend place lors de son voyage retour de Constantinople à Londres. Sans parler de l’agilité avec laquelle l’équipe de tournage manie l’imposant matériel audio-visuel necessaire, dont une caméra sur des rails traversant l’avant-scène pour les travellings. Sans parler non plus des éclairagistes qui découpent sur scène des sortes de vignettes de BD laissant dans l’ombre les machinistes affairés. Au salut, on s’aperçoit de l’abondance du personnel dont dispose la troupe, apparemment richement dotée.
Au-delà du procédé vidéo systématique un peu lassant (de la scène à l’écran, on ne se jamais où ni quoi regarder), on s’amuse beaucoup à ce spectacle qui, fidèle à l’esprit de Virginia Woolf, tourne en dérision les conventions de la société patriarcale, de la morale bourgeoise et de la littérature. Mais aussi, et c’est son originalité, les conventions de la représentation et du théâtre.