La pièce conçue par Sarah Berthiaume est complexe. Mais elle permet une dramaturgie riche, aux niveaux de lecture diversifiés. D’abord, elle prend, en exemple mythique de révolte contre le pouvoir établi, le personnage d’Antigone dont les propos dans la version d’Anouilh résonnent dans notre actualité. Ce sera le pivot autour duquel tourneront présent et passé.
L’écriture du texte va se cristalliser sur plusieurs procédés. Notamment, celui des inventaires ou des listes qui peuvent être : des questions existentielles, des achats à effectuer au supermarché, des actes à accomplir. Certaines s’affichent l’écran d’un réseau social du web sous forme elliptique.
La présence récurrente d’Antigone, étudiante qui rêve de monter la pièce éponyme et qui joue en même temps le rôle qu’elle y interpréterait, crée une mise en abyme permettant d’introduire dans le XXIe siècle de l’intrigue les notions de tragédie et de catharsis, donc de clarifier l’enjeu de la représentation auprès des spectateurs. Tout en montrant que la révolte des ados a existé depuis toujours, une façon d’abolir le temps.
Celui-ci est d’ailleurs aboli au moment où la mère, Ines, rencontre sa fille, Jade, à Antioche, ville turque à la frontière syrienne, point d’arrivée des jeunes européens radicalisés, point de départ pour ceux qui déçus de l’islam reviennent vers l’occident. La maman a, autrefois, été fascinée par le Moyen Orient mais écrasée par la rigidité des tabous ; la fille, écœurée par la société de consommation et de gaspillage espère une spiritualité transcendant le matérialisme du quotidien.
Cette rencontre de générations, leur confession, sous le regard emblématique des dieux de la mythologie commune à plusieurs civilisations, vient cristalliser les désirs de révolte, les limites de la réalité, les leurres de l’utopie, les besoins de donner du sens à l’existence.
Cette pièce est jouée avec dynamisme par un trio de comédiennes qui mettent toute leur énergie à défendre cette réflexion essentielle de jeunes déboussolés. Elles transmettent avec une conviction énergique les interrogations et pistes choisies par Sarah Berthiaume. Il faut seulement au spectateur francophone d’Europe un certain temps d’adaptation à l’accent québécois qu’il n’a guère l’habitude d’entendre surtout lorsque le débit de parole s’emballe.