Portrait - Théâtre - Avignon Off
Le monte-plats
Déshumaniser le pouvoir
Par Daphnée BREYTENBACH
Ben et Gus sont deux tuers à gages. Une fois n'est pas coutume, ils attendent l'arrivée de leur prochaine victime, dont ils ignorent l'identité. Il ne se passe presque rien pendant de longues minutes. Les deux hommes parlent pour ne rien dire, enchaînent les banalités. Puis apparaît un monte-plats et une commande de repas. Alors tout s'enchaîne, jusqu'à l'issue tragique.
Gus et Ben n'ont pas d'âge. Ce sont des caractères lambda. Des " monsieur tout le monde ". Le choix de Jacques Boudet et de Maxime Lombard, pour incarner les protagonistes, ne relève pas du hasard. " Il me semblait intéressant d'en faire des hommes d'âge mûr. Des tueurs avec un vécu, des individus lessivés par la vie. Les petites habitudes, la complicité, les disputes prennent alors une tout autre dimension", confie le metteur en scène.
L'ainé et le novice
Comme s'll s'agissait d'une vieille histoire de famille, Christophe Gand choisit de montrer la proximité sur les planches - elle est peut-être le moyen de faire face à l'absurdité de la situation. Mais cette partition à deux voix est surtout l'occasion pour le metteur en scène de travailler avec deux comédiens qu'il affectionne tout particulièrement. " J'avais dirigé Jacques sur " La dernière bande ", présenté à l'Espace Roseau il y a deux ans. Nous nous connaissons bien. J'aime ce rapport " d'aîné " à " novice " dans le travail - ce n'est que ma deuxième mise en scène ! confie-t-il. Ce qui était fascinant, c'était de les voir répéter tous les deux, ajoute le créateur lumière, Alexandre Icovic. Ils sont véritablement complémentaires ".
Cette partition d'Harold Pinter laisse au spectateur une forme de choix - il peut comprendre comme il le souhaite la tragédie finale. Mais pour Christophe Gand, c'est ici la notion de pouvoir qui est interrogée. " Elle est au coeur de l'action. Ce monte-plats se transforme peu à peu en chef invisible. Il donne des ordres mystérieux avec une autorité intraitable ". On touche là à l'essence du propos du dramaturge anglais. " Le "Monte-plats ', c'est le symbole intemporel de la déshumanisation du pouvoir ".