Critique - Jeune Public - Lille
Les étoiles
Interférences : espace et temps, réalité et imaginaire
Par Michel VOITURIER
Simon Falguières a le sens des cocktails scéniques. Il mêle des univers différents : théâtre et cinéma, comédiens et marionnettes, vie et mort, enfance et maturité, réalité et fiction, localisation géographique et monde onirique. Il joue sans cesse avec leurs interférences. Il emprunte son travail d’auteur à des codes multiples. Le conte domine mais il est assaisonné au mélodrame, à la comédie voire à la farce, à la féérie et ne dédaigne pas quelques moments épiques.
Un fabuleux travail scénique
Pour nous aider à intégrer cette histoire oscillant entre le temps et l’espace, une scénographie mobile d’Emmanuel Clolus présente alternativement, parfois même simultanément, ce qui concerne les nécessités matérielles et les trouvailles de l’imagination, s’ouvrant, se déployant, se refermant en fondus enchaînés selon les actions qui se déroulent un peu comme apparaissent les illustrations en pop up 3D de certains livres fabuleux.
Occasionnellement, lorsque le mélange surgit en une fusion de lieux ou de durées, l’éclairage conçu par Léandre Gans, élaboré avec une minutie spectaculaire, vient souligner la différence entre deux domaines confrontés. C’est, entre autres, par des contrastes entre pénombre et clarté ; c’est aussi par l’intermédiaire de lampes suspendues surgies des cintres ou soumises par les interprètes ou les machinistes à un mouvement de balancier au bout de leur fil.
Le texte est essentiel. C’est lui qui constitue la chair de la pièce. Il se présente à la façon de celui des contes. Il emprunte la musique vocale des répétitions propres à l’oralité. Il est manifestement écrit pour être dit, sans hésiter parfois de devenir explicatif en s’adressant au public à la façon des guides. Et les comédiens, outre leur travail corporel, ont la délicate charge de le valoriser car c’est lui qui éclaire la signification des signes scéniques multiples dispersés à travers les séquences. C’est lui encore qui rappelle que, derrière le spectaculaire et le féérique de la représentation, sa communication langagière demeure le moteur des relations entre les êtres humains.
Le poids du labeur, la liberté du rêve
Le point de départ est la mort de la mère qui contraint la famille à se scinder. Le père et l’oncle poursuivent leur labeur ordinaire comme auparavant. Le fils, poète, en perd ses mots. Pour lui, tout change puisqu’il s’enferme à la fois dans sa chambre et dans son monde intérieur, là où il s’invente des histoires extraordinaires, renoue avec des mythologies. Il est, en quelque sorte, une incarnation de cet indispensable ferment social et sociétal qu’est la culture.
Ces deux options de vie antagonistes se déroulent en parallèle. Même si l’oncle constitue un lien entre les deux puisque, appartenant à l’existence ordinaire des siens, sa pratique de l’art brut le situe aussi dans le territoire de l’imagination. Ainsi aussi, sur le plan formel cette fois, le personnage d’Ingmar Bergman, qui fut en réalité homme de caméra et de plateau, tisse un rapport entre cinéma et théâtre.
La question que pose la pièce est de tenter de se demander si le bonheur correspond à l’une plutôt qu’à l’autre option. Réponse difficile dans la mesure où les humains sont amenés à choisir entre le terre à terre de la vie journalière et les infinies possibilités offertes par l’imaginaire. Sachant que choix de la seconde provient du désir, l’obligation de la première découle de la nécessité matérielle.