Critique - Théâtre - Paris
La Très Bouleversante Confession de l'homme qui a abattu le plus grand fils de pute que la terre ait porté
La très impressionnante création du collectif Nightshot !
Par Karine PROST

Un plateau quasi nu, traversé d'un vaste rideau de chainettes d'acier. Comme scintillant de mille feux disco. Un rideau de lumière qui sera aussi mur de séparation, mur de projection, mur opaque levant le voile sur le quotidien d'une vie. Une vie de soldat en attente du grand jour dans le désert afghan. Une vie qu'un homme fait vibrer en quelques mots, sur un entêtant rythme de cœur qui bat.
L'histoire pourrait être simple. Celle d'un soldat au milieu de tant d'autres. Engagé pour la défense de valeurs dont il ne saisit plus forcément les contours une fois en attente à mille lieux de chez lui. Et dont l’histoire ne retiendra rien, si ce n’est un geste : il a abattu « le plus grand fils de pute que la Terre ait porté ».
L’histoire aurait pu être aussi simple que cela. Sauf que la réalité n’est jamais aussi limpide. Et que les bons ne sont totalement bons que dans les séries B. L’histoire de ce soldat se décalque alors sur celle, plus insidieuse et tourmentée, des impérialismes de tous poils. Soulevant les questions de légitimité, de valeurs croisées, d’intérêts politico-économiques et de récupération diplomatique des combats. La toute puissante « Amérique », continent résumé à un seul pays, en prend pour son grade. Mais avec elle, toutes les démocraties contemporaines sont égratignées. Avec justesse.
Et l’argument ne cède jamais à la facilité théâtrale. Le propos est conduit avec une fluidité particulièrement étonnante quand on pense à la difficulté de le construire de manière collective. L’orchestration commence avec sobriété, tant dans la mise en scène que les créations lumières. Puis les mouvements s’accélèrent, les mots s’entrecroisent, les temps s’entrelacent, les lumières et les sons se complexifient. Prouesses techniques conduites sans fatuité, avec en point d’orgues une superbe simulation de décollage d’hélicoptère.
Voilà donc bien une confession qu’il est urgent d’entendre. Pour la justesse de son interprétation, pour la richesse de son écrin technique, pour la beauté de ses lumières. Et surtout pour la puissance de son texte, qui lève les écrans de fumées sur des vies abruptes, violentes, belles, fragiles et qui nous interroge sur nos représentations, parfois très primaires, de la réalité. Un texte qui dessine des histoires comme un patchwork. Mis en vie par une cohorte de personnages sans nom. Tout à la fois acteurs et relais d'un récit sans nuance. Et qui signent une partition collective dans un superbe unisson.