Critique - Théâtre - Mons
Vita Siyo Muchezo ya Watoto – La guerre n’est pas un jeu d’enfants
Fragments d’une situation postcoloniale
Par Michel VOITURIER

Hasard de programmation et air du temps, cette création collective s’avère structurellement proche du spectacle de Wen Hui et Jana Svobodová, « Ordinary people ». Les deux réalisations donnent en effet la parole à des acteurs qui parlent de leur vécu au sein d’un régime sociopolitique dans lequel ils ne parviennent pas à s’épanouir à cause des dysfonctionnements du système exécutif.
Sur cette base de témoignages, le duo contestataire sino-tchèque et la franc-tireuse belge ont construit des spectacles qui utilisent des fragments de vie avec appoint technologique sophistiqué d’un côté, avec le seul potentiel humain des protagonistes de l’autre. L’aboutissement se révèle aussi efficace dans les deux représentations.
Plutôt qu’une analyse sociologique froide et lucide, Frédérique Lecomte a choisi la générosité des énergies personnelles cristallisées dans un élan collectif. Amateurs et professionnels, Africains et Européens, francophones et néerlandophones ou polyglottes vernaculaires, comédiens et musiciens ou chanteurs partagent leurs expériences d’existence dans un pays riche de tout et trop déchiré pour en donner partage, dans une civilisation globale qui aurait les moyens potentiels de tout gérer et tolère ou engendre les disparités entre classes, peuples, nations, croyances.

À travers une atmosphère festive où alternent monologues, dialogues, chœurs, chansons, danses, mimes, chacun évoque des réalités tragiques. Parmi elles, centrale, celles des enfants-soldats qui ont été embrigadés à travers les conflits ethniques ou religieux légués à l’Afrique lors de la décolonisation. Et tout ce qui en découle : migrations volontaires ou forcées, exils sans possibilité d’intégration ou de regroupements familiaux, misère économique, insécurité chronique, massacres organisés, corruption des dirigeants, rigidité des pratiques administratives.
Derrière une prédominance carnavalesque pimentée des irrévérences liées à ces moments privilégiés d’exutoire plus ou moins tolérés par les pouvoirs, le spectacle mêle la farce débridée, l’émotion sincère de drames humains, la rutilance des images scéniques colorées par les costumes et les déguisements, la force des slogans de manifestants de bonne foi, la joie d’une expression libérée et d’une participation au vivant, la solidarité d’un travail communautaire abouti que dirige avec complicité, depuis la fosse d’orchestre, la cheffe Frédérique Lecomte.