Lorsque l'on voue, comme moi, une passion au football depuis la plus petite enfance, assister à une pièce sur le sujet allait de soi. Cette évidence a gagné en intensité quand on a compris, avec émerveillement, qu'elle abordait un aspect si véhément moqué par la gent masculine : la pratique de ce sport par les femmes.
Or, comme certain.e.s iconoclastes à l’époque, nous avons toujours considéré que cette dernière devait et pouvait être mixte. Car, au-delà de taper dans un ballon rond, il s’agit d'offrir à tous et à TOUTES un terrain de jeu collectif, ouvert, extérieur, où la solidarité peut s’exprimer librement. La sororité, en l’occurrence. En ceci, Le football féminin relève d'un acte politique, d'une volonté sociale de « faire bouger les lignes ».
Le pouvoir libérateur du foot féminin
Et c’est bel et bien ce que raconte Pauline Bureau dans sa création Féminines, inspirée d’une « aventure collective réelle » qui se déroule dans les années 1970 à Reims. Sur fond de grève sociale à l’usine Gravix, un groupe de femmes cherche – certaines sans même s’en apercevoir - à s’affranchir des rêves qu’on leur a mis dans la tête sans que ces derniers leur appartiennent vraiment. Comme se marier à un homme, faire des enfants, s’occuper de la maison.
L’impulsion leur est donnée le jour où elles découvrent, chacune de leur côté, une petite annonce dans le journal L'Union : « Recherche joueuses pour monter une équipe de football féminin. » Ce qui s’annonce, au départ, comme l'énième attraction de la kermesse locale, se transforme vite en chose très sérieuse. D’abord dilettantes, à l’exception de Joe qui baigne dans le foot depuis son plus jeune âge grâce à son père, elles se prennent au jeu.
Une pièce chorale
À la tête de cette initiative qui en fait rire plus d’un.e, le coach. Particulièrement crédible, Nicolas Chupin déploie une gamme scénique qui fait mouche. Tour à tour investi, lâche, vaillant, émotif, colérique et charismatique. C’est lui et son assistant - l’également très convaincant Yann Burlot - qui mènent l’équipe jusqu’aux championnats du monde de football féminin à Taipei.

À leurs côtés, des femmes tout aussi émouvantes. Joe, dont on a déjà parlé, la star de l’équipe, douée, vindicative et amoureuse d’une autre joueuse. Dans ce rôle charnière, Marie Nicolle donne la réplique à d’autres figures significatives de l'équipe. En tête, Camille Garcia - déjà repérée à la Mousson d'été pour la justesse d’un jeu aux confins de la tragi-comédie - et qui interprète là une jeune femme en pleine émancipation psychique ; Catherine Vinatier qui, d’une femme presque dans l’ombre d’elle-même, révèle un leadership lui valant le rôle de capitaine ; et Rébecca Finet qui, de son rire tonitruant, provoque un séisme salvateur dans la condition des femmes en usine.
Chacun·e est présent·e à son endroit et a son mot à dire, à l’exception de la mutique joueuse espagnole dont l’intérêt sur scène nous a échappé.
Une allure de film
Cette riche composition est mise en valeur par une scénographie aux allures de film. Un décor à un étage où se déroule dans le même espace-temps, deux histoires parallèles : celle de l’usine et celle de l’équipe. En haut, la reconstitution d’un espace de travail à la chaîne, clos et confiné. En bas, celle d’un vestiaire dont les panneaux, coulissants, permettent d'offrir, en arrière scène, une vue privilégiée sur les lieux de vie des unes et des autres. Un jeu de lumières très étudié lui aussi, ajoute à l’incarnation de ces espaces résolument cinématographiques. Volontaire, cette dimension est renforcée par l’écran panoramique qui se déploie par moments pour diffuser toutes ces scènes qu’il n’était pas possible de tourner à huis clos. Les scènes de match.
Si l’on devait trouver un bémol à la proposition, ce serait d'ailleurs dans ces moments-là. Over The Top, comme disent les Anglais. Trop de musique, trop de gros plans, trop d’images de maladresses techniques. Faire le choix de filmer des joueuses professionnelles, ne serait-ce que leurs jeux de jambes, aurait participé à renforcer la crédibilité de Féminines. Et de l'image que la plupart des gens se font du football féminin.
Ceci, ainsi que la coupure de courant qui plongea dans le noir tout le quartier pendant 10 minutes étrangement silencieuses, n’enlève en rien le courage et la nécessité d’avoir créé une telle pièce. Dans un contexte où la dernière coupe du monde féminin a enregistré un record d’audience et où les femmes – enfin – s'emparent de la rue, notre joie n'en est que plus comblée.