Critique - Danse - Villeneuve d'Ascq (Lille)
Ordinary people
Liberté engagée encagée
Par Michel VOITURIER

Derrière l’apparence d’un bricolage plus ou moins clandestin, abrité derrière des barrières Nadar rescapées de quelque manifestation réprimée, ce spectacle va se dérouler comme une grande fresque sans cesse restaurée, aménagée, développée. Avec une scénographie inventive à souhait à partir d’éléments banals comme des caisses en carton et un écran blanc, avec une maîtrise virtuose de technologies audio-visuelles dont certains effets spéciaux bluffants, la représentation traverse temps et espace, renouvelant sans cesse l’amplitude du plateau.
Le mélange des genres engendre un cocktail réjouissant. Les changements à vue, conçus comme des fondus enchaînés, permettent une fluidité permanente au cours d’une représentation qui ne craint pas de varier les rythmes propres à chaque séquence. Les pupitres techniques de lumière et de son, équipés de roulettes voyagent discrètement, partie intégrante à l’ensemble, personnages partenaires à part entière.
Les témoignages, en alternance des Asiatiques et des Européens, prennent racine dans le vécu des interprètes. Ils nous confient d’abord combien ils avaient espéré de la pratique théâtrale lorsqu’ils ont commencé et combien ils se sont sentis bridés par des régimes de plus en plus policiers, de plus en plus en à l’affût de tout ce qui serait une remise en cause du système étatique. Ils disent encore des brimades sociales, des exclusives idéologiques contre les différences, notamment en ce qui concerne l’homosexualité. Ils abordent aussi les difficultés de l’exil.
La démarche s’orchestre autour de l’antagonisme entre demeurer dans l’ombre ou se mettre dans la lumière. Faut-il s’exposer dans le plein feu ou se dissimuler dans la pénombre ? S’opposer ouvertement ou agir en résistance clandestine ? La mise en scène se sert des caisses en carton pour des parties de cache-cache, des constructions précaires ; elle utilise les barrières métalliques pour figurer les barreaux des geôles ou les murs frontaliers, les obstacles légaux et les contraintes prétendument civiques ou morales. Les chorégraphies et les musiques disent un multiculturalisme où cohabitent orient et occident, traditions et modernité. Le rock côtoie la musique électronique planante ou concrète, les airs classiques et le folklore.
Des pans entiers de l’évolution du monde se déroulent. Ils nous amènent à regarder d’un œil moins myope ce qui s’est produit depuis des décennies, à penser large en ouvrant la réflexion à l’histoire à partir d’exemples individuels témoignant des transformations collectives des démocraties.