Critique - Théâtre - Villeneuve d'Ascq (Lille)
Le grand sommeil
Un grand écart entre psychologie et performance
Par Michel VOITURIER
Helena de Laurens a pour instrument son corps. Elle s’en sert avec une incomparable virtuosité. Lorsqu’elle surgit du lointain, côté cour, elle laisse derrière elle des coulisses encombrées. Elle s’empare d’un plateau nu. Elle hante cet espace vaste de la dominante rouge de son costume de scène qui est aussi celui de son personnage double, simultanément adulte et gamine, babysitter fantasque à la Mary Poppins et enfant polissonne.
C’est l’heure du sommeil, de la période où les rêves surgissent débridés, incontrôlés par la raison ou les interdits. C’est le défoulement intérieur. C’est un univers mental qui sied bien à la performeuse. Elle se livre donc à un festival de contorsions et de grimaces. L’atmosphère vire vite au film d’épouvante et à la panoplie d’Halloween, là où les monstres grignent.
On assiste alors à un spectacle écartelé sans cesse entre des antinomies : chorégraphie et pantomime, peurs ancestrales et grotesque, psychologie et farce, provocation et audace, acrobatique numéro de contorsionniste et danse stylisée, pitrerie et parodie. L’hybride domine. Il perdure, ne va guère au-delà des apparences, laissant paradoxalement un goût de trop plein et un désir frustré de trop peu. Sans doute toute virtuosité laissée à elle-même ne parvient-elle pas laisser place à un véritable contenu.
La séquence finale demeure néanmoins un moment chargé de sens à travers des codes plus riches que les mimiques outrancières et caricaturales. La fillette Jeanne implante sur le sol du plateau, au moyen d’un large ruban orange adhésif, une sorte de marelle. L’interprète Helena finit par s’emberlificoter dans le ruban et un espace ludique trop restreint. Elle luttera avec énergie pour échapper à ce qui finit par la ligoter, par lui ôter toute possibilité de liberté. Elle luttera…