Ils n’ont pas de nom. Ils sont désignés comme «Une personne», «Un.e ami.e», «Une connaissance», «Un.e inconnu.e», «Un.e ennemi.e», vocables neutres qui s’affichent en lettres blanches sur les parois amovibles du décor minimaliste et néanmoins sophistiqué des Ateliers Berthier. On y reconnait la patte de Stéphane Braunschweig qui a traduit la pièce avec Astrid Schenka et assure aussi la scénographie.
Après Je disparais et Jours souterrains en 2011 et Rien de moi en 2013, à La Colline qu’il dirigeait alors, le metteur en scène entre-temps passé à l’Odéon revient à son auteur contemporain fétiche, le norvégien Arne Lygre, qui est aussi romancier. Il y orchestre une ronde ininterrompue, cérébrale et rien moins qu’enjouée de personnages en mal d’amour. A mesure que la pièce - qui tient beaucoup de ce que l’on a appelé dans les années soixante le « nouveau roman » - avance, le rythme des séquences s’accélère et le mystère sur ces destins provisoirement croisés s’épaissit.
Dépressif et déprimant
Le plateau est un rectangle couvert d’eau dans lequel pataugent les sept acteurs chargés d’incarner à tour de rôle les personnages de ce carrousel dépressif et déprimant, très nordique. Ils peuvent jouer alternativement tel personnage en quête d’un autre et cet autre même, tous sexes confondus, chacun avec ses propres intentions soulignées par des sortes de didascalies comme "Je dis...", "Je pense...", "Je fais...", un peu comme s’ils étaient les témoins de leurs dires ou de leurs actes. Avant de passer le relais aux suivants qui peuvent être les mêmes impliqués dans d’autres vicissitudes, rencontres ou impasses familiales, professionnelles... toutes relations provisoires, instables, toujours vécues à bonne distance, pour un moment seulement.
Parfois se fait entendre l’écho d’une violence, accident, suicide, viol... qui affecte tel ou tel d’entre eux. Mais jamais la moindre effusion de sang ni de sentiment ni d’émotion. Impossible équation : ils sont tous en quête d’un.e autre mais en même temps revendiquent farouchement la solitude. Tous réclament de l’amour. Mais aucun ne se pose la (bonne) question : «Suis-je aimable ?» .