Critique - Spectacle musical - Bruxelles
Sapho en hommage à Barbara
Une chanson qui survit hors la mort
Par Michel VOITURIER
En dehors de sa propre production, Sapho a plaisir de célébrer ceux qu’elle aime. Elle le fit naguère avec une chanson pour Janis Joplin, avec un récital dédié à Oum Kalsoum et un autre consacré à Léo Ferré. Elle est femme de défis. N’a pas craint d’aborder des musiques complexes comme celle de l’opéra La Conférence des oiseaux de Michaël Levinas. Ni d’être dans une distribution de l’Opéra de quat’ sous de Kurt Weill. Et n’est pas étrangère au théâtre après avoir suivi le cours d’Antoine Vitez.
Sapho possède donc les atouts pour aborder Barbara avec son expérience variée du chant et du spectacle. De noir parée, un tulle blanc qui soulignera ou amplifiera ses mouvements dans la main gauche, elle se sert au mieux de sa présence vocale autant que physique. Comme chez tous les chanteurs, pas si nombreux qu’on pourrait le penser, qui chantent avec leur corps pour mieux transmettre les sons, les intentions, l’émotion.
L’univers de Barbara revient sur scène. Il est fait de mélancolie, de solitude, de ruptures après lesquelles on va plus loin, de blessures d’enfance et d’amour. Mais aussi d’humour mutin, de tendresse écorchée, d’espérance lumineuse. Le choix des chansons évoque tout cela, livre une sensibilité personnelle qui ne se contente pas des airs les plus connus. L’interprétation également, qui ne cherche pas l’imitation mais propose une recréation.

La Barbara de Sapho
Nous retrouvons La solitude qui taraude, l’abandon de Dis, quand reviendras-tu ?, les souvenirs douloureux de l’Enfance et la poignante rencontre d’une fille avec son père incestueux sur son lit de mort à Nantes, les objets chéris à brader aux enchères chez Drouot quand on vieillit dans la détresse.
Nous vibrons avec le rejet des haines et des guerres de Göttigen, avec l’espérance d’un attachement qui durerait de Perlimpinpin ou l’espoir d’un envol en duo amoureux depuis la Gare de Lyon, voire l’envie d’un utopique amour à partager sur L’île aux mimosas en compagnie de celui qui serait toujours là, Pierre. Car il arrive que des événements ou des choses ou des situations nous apportent des sentiments de beauté partagée, sans trop savoir si c’est à Dieu ou au Diable qu’il faut dire Chapeau bas en guise de merci.
C’est alors sa Plus belle histoire d’amour ou la mélancolie tendre de la disparition d’un être cher que célèbre Une petite cantate, légère à fredonner, nourrie de mémoire attendrie. C’est encore le regret resurgi de Marienbad où le couple ne fut pas ce qu’il aurait pu être. C’est enfin, sur un air de comptine, le trajet vécu de la fin des rêves d’enfant avant une vie qui ramènera vers la sérénité fragile d’un retour aux lieux baignés d’un passé, là-bas, dans Le petit bois de Saint-Amand.
La chanteuse n’est pas seule. En connivence et communion, Étienne Champollion accompagne, soutient, stimule, souligne, colore. Il quitte la sobriété intimiste de l’enregistrement en studio, pour être pleinement sur scène. Lui aussi affirme sa présence corporelle, se donne à la mélodie et aux rythmes en homme de spectacle vivant, incarnant au présent l'affliction et l'allégresse, l'ardeur et la délicatesse. Et résume dans un Aigle noir instrumental à la fois sa virtuosité et son élégance.