«Ce spectacle renaît de la mort de Bobò», déclare en préambule Pippo Delbono sur la scène du Théâtre du Rond-Point où il se produit régulièrement. Dans cette formulation, tout est dans le «re», pour bien marquer combien l’avait atteint la mort de son comédien fétiche, microcéphale et sourd-muet, décédé en février dernier, à 82 ans. Le trou noir dont il a été une fois de plus victime après cette mort est donc dépassé.
Pour autant, la pièce n’est pas une oraison funèbre, une ode à la mémoire de route du metteur en scène qui, depuis qu’il l'a connu en 1995, le plaçait au centre de tous ses spectacles. La Gioia, en italien surtitré, est un spectacle de théâtre dansé comme seul sait en mitonner le créateur avec sa compagnie, famille choisie composée d’artistes hors normes. Une sarabande théâtrale faite de paroles, de musiques, de danses, d’images, de tableaux débordant d'une émotion tout juste maîtrisée, d’une beauté sidérante.
Souvenirs de la vie d'artistes
Quelques minutes plus tard, Pippo précise qu’il ne parlera plus de sa mère, autre sujet principal de ses précédents spectacles. De quoi parle alors la pièce qui a pour titre La Gioia (prononcer djioia) ? «J’avais pensé à «La mort joyeuse», dit-il dans sa note d’intention, ou bien «La possibilité de la joie», avant d’opter pour le plus simple et d’expliquer : La joie n’est pas un résultat. Tu dois décider que la joie est la route de ta vie».
Donc, le spectacle suit le fil de la vie d’artiste menée par Pippo et ses comparses, avec ses hauts et ses bas, ses jours tristes et ses jours gais. Parmi ces saltimbanques venus tous d’horizons non professionnels, se trouvait toujours en première ligne Bobò, dont il évoque des réminiscences venues de leurs voyages à travers le monde ou sur les scènes des salles de spectacle.
Des souvenirs personnels aussi remontés de son enfance. Comme le cirque qui passait par chez lui et qui lui donnait à la fois de la joie et de la tristesse. Et la troupe de prendre alors les allures d’une bande de nomades anachroniques et poétiques, acrobate, dompteur, ballerine, écuyère.... lancés dans une ronde hallucinée. Plus qu’à l’accoutumée, on ressent l’empreinte de Pina Bausch avec qui Pippo a beaucoup travaillé.
Sur le plateau qui, au fil des souvenirs, a été jonché de feuilles mortes, un comédien vient déposer des gerbes de fleurs. Pas les gerbes disciplinées et tristes des enterrements, mais des gerbes magnifiques qui retombent en cascade échevelée, qu’il dispose longuement l’une après l’autre comme pour tracer un chemin, une sorte de route de la joie.
«Siamo contenti», répète inlassablement Pippo. Une prière, une incantation comme pour conjurer le mauvais œil. Dans ce «nous», il y a les spectateurs, contents en effet d’un spectacle qui les a embarqués.