L’un est âgé ; l’autre est jeune. L’un est d’abord sculpteur ; l’autre vient du hip hop. Leur spectacle commence par la mise en espace : l’un s’installe sur le socle d’une chaise, en équilibre précaire au-dessus du sol ; l’autre débute à ras de terre. Le premier manipulera, façonnera un bloc d’argile tandis que le second prendra le corps à bras le corps, le sien et celui de son alter ego.
Cette dualité complémentaire qui évite le duel rejoint la légende mythologique juive du « Golem », créature façonnée par un rabbin, devenue une sorte de servant ou même de double de son géniteur. Ici l’affrontement, la compétition ne sont pas de mise. La différence prend le temps de s’affirmer, de s’apprivoiser. L’un a pour objet de transformer la terre qu’il malaxe ; l’autre a pour objet le corps, le sien qu’il expérimente dans des gestes renouvelés.
Le poids de l’argile induit une certaine immobilité, un rapport à la glèbe, au lieu précis de l’enracinement, de l’ancrage. Donc s’en réfère à la difficulté de s’extraire, de se tourner vers le lointain, l’incertain, l’inconnu. Mais aussi à la stabilité, la maturité, la connivence avec le natal. Tout geste vaut sa dépense d’énergie, sa volonté d’élévation, son désir de passer de l’inerte au vivant.
L’étendue suppose des frontières plutôt floues, non plus un terroir mais un territoire. Une invitation à l’exploration, à l’expérimentation. Donc une attirance vers le mouvement, le déplacement et, par conséquence, le besoin de tester les potentialités corporelles qui amènent à aller au-delà des limites y compris celles de la peau. Tout se délie, se déploie à travers l’aspiration à l’ouverture, à la rencontre.

Ainsi, sur le plateau, se développent deux chorégraphies destinées à s’unir. La première s’apparente à la réalité brute de l’application obstinée de l’artisanat associé au rural ; la seconde se nourrit d’une libération gestuelle suscitée contre les contraintes urbaines. Le sculpteur se bat littéralement avec la glaise en une lutte physique épuisante et obstinée ; le danseur établit des bornes à un espace en se donnant des démarcations suggérant de possibles repères.
Les analogies qui surgissent çà et là, les comportements qui construisent deux personnalités se lisent à travers la chorégraphie imaginée par Julien Carlier, soutenue par les sonorités et les rythmes dont Simon Carlier l’a habillée. Le danseur et le sculpteur se rejoignent peu à peu. Trouvent des similarités, des connivences. Le mouvement se concrétise en mouvance dans la mesure où l’un finit par influencer l’autre et vice-versa.
Le double n’a plus nécessité de passer par l’image figée d’une statue. Le double est autrui, le semblable différent, le complémentaire sans pour autant abandonner ce qu’il est, ce qu’il a vécu, ce qui le différencie. L’énergie se résout dans l’unité du partage.
Même si le lieu, grand chapiteau, manquait forcément d'intimité, même si la visibilité n'était pas des meilleures, ce spectacle de cloture du festival Théâtre au Vert a apporté un souffle particulier grâce à cette performance palpitante d'une humanité habitée par la force autant que la fragilité.