C'est du théâtre document. il est contreperformant d'en faire une dramatisation avec les effets scéniques récurrents d'ivrognes bégayant, hoquetant, zigzagant, trinquant à tout berzingue. L'option choisie par Didier Poiteaux est celle de la simplicité, de la clarté, de la sincérité. Il se présente en tant que comédien, il explique sa présence. Il commence en délicatesse en référence à des cas témoins avec qui il a eu des échanges.
Sur le plateau, comme dans les salles de réunion où se retrouvent des groupes de parole, des chaises sont alignées le long du lointain et des coulisses. Le comédien parle sur le ton de la conversation, un peu aussi à la façon d'un conférencier qui maîtrise bien son sujet. Il sera d'ailleurs très scientifique. Il explicite le mécanisme qui transmet au cerveau les signaux envoyés par l'alcool.
Là, la démarche s'insère pleinement dans le processus théâtral. Afin de rendre limpides ses informations, il a disposé des chaises autrement, leur a donné le statut de neurones et visualise dans l'espace le cheminement du poison. C'est une évidence, une perception cognitive immédiate.
L'acool, pas cool
Lorsqu'il emprunte la parole d'un alcoolique, Didier Poiteaux ne force pas le trait. Indiquant que le discours n'est plus le sien, il change le débit et la modulation de sa voix ; il modifie une attitude corporelle et quelques gestes. De la sorte, il s'interdit toute caricature dégradante et conserve la justesse des phrases prononcées. Il est, à titre provisoire, en train de se mettre véritablement à la place du locuteur qui se raconte.
Pour colorer son discours, il est accompagné, en discrétion précieuse, par la guitare basse d'Alice Van de Veerne qui crée des atmosphères minimales, sans émotivité superflue, des touches sonores poétiques. Le spectacle se poursuit de la sorte : une description des démarches accomplies ; des notations sur des rencontres, des souvenirs personnels familiaux ou autres, des témoignages rapportés. Ainsi se révèlent les difficultés à guérir de cette maladie, le déni inhérent à la situation particulière des patients, le poids social et sociétal sur les causes et les conséquences.
La franchise du propos touche la réalité. Elle remet en place les préjugés, réactions négatives, maladresses, inquiétudes. Et, à la fin, le comédien ne fait pas appel à la sensiblerie qui donne l'illusion d'avoir de l'empathie, il termine en suscitant un sentiment profond, palpable dans le silence de l'écoute. Monsieur Poiteaux, merci. Merci, Didier.