Critique - Théâtre - Avignon Off
Des caravelles et des batailles
Des mots plantés dans l’imaginaire
Par Michel VOITURIER
Le plateau est entouré de tentures noires. Quelque part dans l’espace est planté, un peu en oblique, un arbre-colonne destiné à soutenir un plafond. Au lointain aussi bien que côté cour et jardin, des sorties débouchant vers quelque part. Au cœur de cet endroit inconnu vivent des individus qui vaquent à des occupations diverses plus ou moins définies.
Ici tout est particulièrement serein. Une sorte de secteur utopique. Les règles indéfinies sont respectées d’un commun accord. Aucune hiérarchie ne semble structurer cette communauté où chacun est sempiternellement curieux de découvrir et de partager des impressions, des sensations. Il n’est apparemment pas question d’argent.
Les individus ne cessent de se croiser, de partir dans diverses directions et de revenir ici même là où ils ne cessent de se croiser. Le passé est peu évoqué. Le présent est sans conteste toujours présent. L’avenir n’est guère envisagé, du moins en tant qu’objectif précis à atteindre.
Du coup, tout est devenu étrange en devenant aussi très familier. Le public suit donc les propos des protagonistes qui lui décrivent jusque dans le moindre détail des choses et des situations invisibles mais tellement présentées avec minutie qu’on pense bien les voir en même temps qu’eux. Car cet univers là existe bel et bien puisque certains êtres débarquent pour s’adjoindre aux habitants déjà installés.
C’est un monde où on veut « avancer jusqu’aux portes de la vie ». C’est un monde absurde. Pas angoissant comme chez Kafka ou Gilliam. Pas délirant comme chez Ionesco. Pas en attente métaphysique comme chez Beckett. Pas débridé comme chez Lewis Caroll. Pas infantile comme chez les Bisounours. Il est obligeamment absurde au point de susciter des rires libérateurs. Pas moqueurs, pas provocateurs, pas cyniques, pas accusateurs, pas avilissants. De vrai rires, quoi.
D’ailleurs, ce lieu, je crois bien que je vais y retourner. Et d’ailleurs, c’est sûr, les comédiens sont là, sur le plateau, regardez-les, ils guettent avec gentillesse et un parler serein, avec une conviction désarmante, celle ou celui qui, passant par là, les rejoindrait.