Critique - Théâtre - Avignon Off
Y a pas grand-chose qui me révolte pour le moment
Un théâtre qui code le non-sense
Par Michel VOITURIER
Nicholas est de retour. Il a débarqué chez ses frères Hughes et Léo après une errance de quinze années. Tous trois sont cowboys. Du moins en ont-ils la tenue vestimentaire. La vie quotidienne se transforme irrémédiablement en nonsense. Mais pas n’importe lequel. Celui d’un théâtre qui avoue au public que c’est du théâtre et donc de la fiction, sauf que c’est vrai et donc du réel. Un réel qui perd très vite les apparences du réel pour prendre l’allure de jeux de rôles auxquels chacun se soumet tour à tour.
Alors bien sûr, les costumes changent sans cesse. Ils sont inattendus, farfelus, sans rapport avec les situations jouées. Celles-ci sont interprétées avec une sorte de désinvolture élégante, ce naturel le plus désarmant qui soit, celui du quotidien lorsqu’on est chez soi, dans l’intimité sans éprouver le besoin de mimer ces codes sociaux sans lesquels on se sent étranger même parmi les siens.
Rien de plus normal que de jouer au ping-pong sur la table où les ingrédients de l’apéro festif attendent des bouches pour les avaler. Idem pour le fait de poser la nappe au-dessus des éléments du repas. Pas de question non plus à se poser si l’un des trois frères est une femme à moustache. Aucune gêne à pratiquer un toucher rectal à une pastèque pour avoir la certitude que la maladie suivra son cours ordinaire. Ce qui n’est pas plus extravagant que de pratiquer un interrogatoire avec glace sans tain dans un salon très peu saloon.
Il arrive qu’ici se pratique ce que Jean Tardieu avait jadis préconisé dans une de ses pièces en un acte : « Un geste pour un autre ». Qu’on veuille doter d’une sécurité anti-intrusion une porte fermée par un rideau de fils plastiques. Que des éléments de maquillage métamorphosent un visage de jeune premier en celui de Quasimodo. Qu’un livreur de pizzas vienne livrer... une pizza. Que lorsqu’un noir se fait sur le plateau, il est remplacé par un éclairage qui change le cours du temps…
Il y aurait tant de trouvailles dans des tas de détails à citer, notamment de fréquentes mises en abyme à travers des commentaires des comédiens entre eux. Mieux vaut les découvrir dans cet univers de salon-cuisine désuet de petit logement étriqué et kitsch. Avec, à la clé, cette double question sans réponse : qu'est-ce qui est vrai ? qu'est-ce qui est faux ?