Critique - Théâtre - Villeneuve d'Ascq (Lille)
Bildraum
Pratiques du trompe l’oeil
Par Michel VOITURIER
Dans un spectacle, en particulier au théâtre, tout est illusion. Voilà ce que dévoilent Charlotte Bouckaert et Steve Salembier. Et nous mènent à constater que, dès que l’information devient spectacle, tout est susceptible d’être trompeur, fallacieux, manipulateur.
Ils ne sont pas les seuls en Belgique. Hans op de Beeck a mis naguère en scène des vidéos qui montrent des architectures, des lieux géographiques façonnés à partir d’objets ordinaires. Jaco Van Dormael et Michele Anne de Mey tournent depuis des années avec des ballets pour mains chorégraphiées dans des environnements filmés d’improbables décors.
La magie de l’image, la fascination que parvient à susciter un élément quelconque, usuel, trivial s’avère sidérante. Cela dévoile combien nous risquons d’être victimes de manipulations d’autant plus vénéneuses qu’elles sont véhiculables sur internet à une vitesse
vertigineuse.
Sur le plateau, l’architecte Steve Salembier a déposé des maquettes. Il leur apportera des éléments, petits objets, meubles, cloisons, murs… Une vraie plante d’appartement s’y adjoindra. Puis des façades. Il y aura également ce qui semble de la terre, du sable, des cailloux. Tous éléments que la salle aperçoit de loin.
En parallèle, la photographe Charlotte Bouckaert s’avance, s’accroupit, se couche et prend des photos sous des angles divers. Elles apparaissent sur grand écran. La salle regarde alors de près. Des caméras filmeront aussi des actions. Lorsqu’elle ou lui manipule des matériaux, l’image suit les mouvements, les transformations, la poussière en suspens dans l’espace.
C’est lors de ce passage du micro au macro que la perception change. Ce que nous savons être carton, papier, gravats, collages… prend des allures de panoramas, de paysages, de décors monumentaux, de bâtiments en dur. L’illusion est plus forte que la connaissance de ce qui la compose. Un peu de poudre, sous les traces laissées par des doigts qui la parcourent, sous les traces creusées se métamorphose aussi bien en chemin de campagne cabossé qu’en grand route au bitume lisse.
Les visites, les promenades ainsi proposées s’accompagnent d’une bande son travaillée de bruits, de ponctuations musicales et par moments, de mélodie jouée en direct par Steve à la guitare électrique. Les perceptions sont devenues des ambiances.
De la sorte, chacun se balade au sein de pièces abandonnées où un grand vide se charge de mystère. Arpente des lieux qui s’imaginent chargés du poids de l’histoire. Traverse des campagnes ouvertes à l’immensité ou marche sur des chaussées entre des talus. Se retrouve en pleine nuit, passe du crépuscule du soir à celui de l’aube, s’éblouit d’un soleil estival ou d’air froid d’hiver. Rien n’est vrai. Tout semble plus beau que le réel.