Wajdi Mouawad, on le sait, ne fait pas dans la sobriété. Ni dans la concision. Fauves, sa troisième création depuis qu’il a pris la tête du Théâtre de la Colline (Après Tous des Oiseaux et Notre Innocence), bat des records : sur la durée (4h de spectacle dont un entracte), sur la complexité de la construction (en « double hélice », explique-t-il dans le programme, entre narration et déconstruction), sur la frénésie narrative qui enfile révélations et coups de théâtre, jusqu’à friser le grotesque. Selon un découpage qui s’apparente à celui des séries télé, les épisodes s’enchaînent les uns aux autres, un traumatisme chassant l’autre.
Sur le thème de la violence amoureuse, de l’amour (familial ou pas) qui tue, la pièce remonte le fil d’une lignée quasi-biblique plombée par un péché originel. Dans cette saga se lisent bien des traits du passé de Wajdi Mouawad, fuyant avec sa famille la guerre civile du Liban où il est né et atterrissant au Québec où se situe l’action. Hanté par les coups de dés du hasard et par le hiatus entre le réel et ce qu’il aurait été si tel ou tel événement s’était déroulé autrement, l’auteur et metteur en scène imagine un système de narration consistant à rejouer les mêmes scènes avec à chaque fois un petit grain de sable différent. Système qui devient fastidieux et que - Dieu merci - il ne tient pas jusqu’au bout. Ce faisant, il use - et abuse - de l’énergie dispensée par la troupe de la douzaine de comédiens requis sur scène (certains jouant plusieurs rôles) qui ne sont pas avares de cris ni de larmes.
Couple pathologique
Personnage pivot de la pièce, Hippolyte Dombre (Jérôme Kircher) est réalisateur d'un film qu'il ne parvient pas à terminer et qui met en scène un couple pathologique (elle japonaise, lui américain) à qui il fait rejouer indéfiniment la scène du meurtre de l’amant désinvolte par l’amante frustrée. En plein ressassement, surgit la nouvelle que sa mère, Leviah (Norah Krief), est tuée dans un accident. A partir de quoi s’enclenche une chaîne de révélations qui mettent en cause ses ascendants et ses descendants au fil d’une enquête quasi-policière qui court sur quatre générations.
Malgré quelques beaux morceaux d’écriture poétique et un dénouement rédempteur, le spectacle est toujours guetté par l’overdose.