Un poète et un musicien. Wystan Hugh Auden et Benjamin Britten. Deux créateurs majeurs de la scène artistique britannique des années 1930/40. Deux personnalités très différentes, l'un autoritaire, assumant pleinement son homosexualité, l'autre, impulsif, plus désireux de se conformer à l'ordre social. Deux créateurs géniaux qui s'attirent et se repoussent avec la même vigueur, de crainte de voir leur amour interdit par la loi morale et pénale se concrétiser. Résultat, une relation qui restera platonique et néanmoins intense, entamée au fil de collaborations communes pour le cinéma, le théâtre et la radio, poursuivie (et achevée) dans les Cabaret Songs où Britten a mis en musique des poèmes d'Auden. Tel le magnifique Funeral Blues qui donne son titre au spectacle et qui a été popularisé par le film Quatre mariages et un enterrement.
Olivier Fredj a conçu la pièce, en anglais surtitré, comme un spectacle jazz soft que Britten et Auden auraient écrit si leur relation avait été mise en scène avec leurs propres mots et musique. Soit d'un côté une poésie acérée, surréaliste, pleine de sous-entendus subliminaux, un rien précieuse, et de l'autre, des musiques de cabaret jazzy pour piano seul, facette méconnue du compositeur de Billy Budd et du War Requiem.
Internat de garçons
Fondé sur le manque, l'absence, l'inexprimé, le spectacle en forme de show a pour cadre l'appartement que les artistes ont occupé ensemble à New York où, objecteurs de conscience, ils fuient l'enrôlement dans la deuxième guerre mondiale. Dans cette ambiance homoérotique d'internat de garçons, s'immisce la femme qui a été leur colocataire, Gypsie Rose Lee, artiste burlesque qui met en scène sa propre vie amoureuse (purement fantasmée), et qui fait ici fonction de pianiste accompagnant par intermittence les deux hommes.
Le baryton Laurent Naouri, bien connu des amateurs d'opéra, campe un Britten fougueux, et le comédien Richard Clothier un Auden caustique. Les deux esquissent des gestes de rapprochement physique, tentatives avortées de fusion spirituelle, tandis que la pianiste Cathy Krier, de son côté, (sur)joue avec un plaisir manifeste son rôle de comédienne en mal d’amour.
Outre un manque de rythme, le projet, séduisant sur le papier, souffre sur scène d'un problème d'incarnation. Les interprètes (ainsi d'ailleurs que les artistes qui sont leurs modèles) n'ont plus l'âge de fréquenter l'internat. Et la traduction française, assez plate, ne rend pas compte de l'extraordinaire musicalité des poèmes rimés d'Auden.