Critique - Théâtre - Bruxelles
Playback d’histoires d’amour
L'amour-passion, à vivre ou à revivre !
Par Suzane VANINA
Elle s'est donnée à fond dans la réalisation s'appuyant sur trois acteurs et actrices - Thierry Hellin, Catherine Mestoussis, Alexandre Trocki - qui ont adhéré avec enthousiasme et leurs talents divers à ce projet original. Créé au Théâtre de Namur et maintenant présenté au National, à Bruxelles, voilà un coup d'essai tout à fait réussi, grâce aussi à un entourage technique sûr, plus que jamais indispensable.
Pour décor, un cabaret un peu défraîchi, un peu kitsch, avec un petit podium pour l'Artiste et un vaste espace pour les autres personnages qui s'y croiseront (scénographie de Vincent Lemaire). Rencontre, fusion, absence, attente, embarras, désillusion, jalousie, conflit, larmes... tous les états et étapes de la passion amoureuse sont décrits et reviennent à chaque nouvelle rencontre, comme dans une ronde fatale.
"Les chants désespérés sont les chants les plus beaux/Et j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots"(Musset et... Nougaro)
Le thème de l'amour-passion est populaire, le choix des chansons le sera aussi, et les amours malheureuses fournissent une bonne part du répertoire des "Variétés françaises" (et de ce spectacle).
De courts extraits de "Fragments d’un discours amoureux"* (en voix off) voisinent avec Dalida et son "Parlez-moi de lui" et viennent ajouter un peu de profondeur à l'ensemble.
Il s'agit certes d'un spectacle essentiellement musical mais qui s'enrichit de moments muets, chuchotés, parlés, de scènes évocatrices où les corps participent et dialoguent avec les parties chantées en play-back, ou pour certaines "au naturel" (l'incontournable "La vie en rose").
Chacun des artistes aura son heure de gloire devant le rideau pailleté et le halo du projo, que ce soit Delphine Bibet en Adamo, Thierry Hellin en Dalida, Catherine Mestoussis en Hervé Vilard, Alexandre Trocki en Jane Manson... et d'autres encore ! De très nombreux changements ne se font pas à vue et suscitent la surprise à chaque fois...
Et puis il y a cette incroyable expérience pour l'artiste: "entrer dans la peau du personnage" jusqu'à en perdre sa propre voix, une partie tellement vitale et personnelle de l'être humain, au même titre que ses empreintes digitales.
Acquise et dépassée la technique du lipping (coller le mouvement des lèvres sur les paroles et la cadence de la chanson), c'est un phénomène étrange qui l'habitera car il va plus loin que les simples copies des fans-de-la-star : il s'approprie sa voix, son souffle, ses attitudes typiques, son histoire intime, parfois une identité sexuelle différente de la sienne.
De quoi susciter la réflexion sur ce qu'est le travestissement, sur ce qui peut conduire à la négation de soi pour certains...