Que l'on y voie un conte féroce ou une tragédie moderne, c'est au départ l'histoire d'un homme ordinaire: George/Yoann Blanc - enfant, ado, jeune homme - racontée par un choeur de cinq personnages, ou plutôt examinée au scalpel dans un laboratoire aseptisé par cinq "blouses blanches". Etape par étape, elles analysent la progression au fil du temps (et de projections vidéo), de sa "bonne conduite", son amabilité, sa docilité, sa gentillesse envers autrui... qui le confinent dans une présence effacée. Elles instillent tout de même une notion troublante: "bonté ou lâcheté" ?
Dans une scénographie de Charly Kleinermann et Thibaut De Coster avec panneaux modulables qui peuvent former un cube clos froid, clinique, le rythme excellent de la mise en scène de Jasmina Douieb et le ton d'humour noir décapant, d'ironie caustique, offre une performance d'acteurs tout aussi excellents: France Bastoen, François Sikivie, Stéphane Fenocchi, Valérie Lemaître, Manoël Dupont. Soit une première partie vraiment très drôle !
Pour la deuxième partie qui marque un grand déclic dans la personnalité de George, le rythme ralentit et la pièce présente des séquences plus réalistes et détaillées où l'on continue à suivre l'évolution du personnage qui prend alors le devant de la scène... dans tous les sens.
"Tout s'achète et tout se vend, et inversément"...
Ce basculement va le propulser dans les hautes sphères de l'ultralibéralisme, de la corruption/corruptibilité, de la manipulation savante, du Pouvoir et de l'Argent à n'importe quel prix. Lui qui s'était toujours "très bien conduit" deviendra cet être malfaisant, pactisant avec le Mal. On voit la progression du côté sombre de sa force, son évacuation de tous les scrupules et de tout sens moral au profit de trois règles qu'il va s'imposer désormais: "1: Quand tu veux quelque chose, prends-le. 2: La seule chose requise pour prendre ce que tu veux c’est ta volonté absolue et ta faculté de mentir. 3. Ne pense jamais aux conséquences. Ne regrette jamais."
Fort de l'application à la lettre de ces grands principes, George Mastromas est maintenant un des PDG-chefs d’entreprise les plus en vue au point qu'il n'hésite pas à commettre une autobiographie totalement fictive (salissant sa famille au passage) et à mentir à sa propre épouse. Cela lui vaudra le gros succès de ce "best seller" mais aussi quelques reproches virulents, quelques échanges dramatiques, où pour la forme théâtrale, il ne sera plus question de distanciation cynique...
L'aire de jeu est devenue plus classique: ouverture des panneaux et changements de vêtements à vue des ex-clinicien/ne/s car les acteurs/trices auront chacun un "rôle" bien défini: employeur de George paniqué puis ruiné pour François Sikivie, jeune cadre (très) dynamique et arriviste pour France Bastoen, épouse désabusée pour Valérie Lemaître, frère révolté pour Stéphane Fenocchi, enfant caché-activiste pour Manoël Dupont.
"The ritual slaughter of George Mastromas" pourrait peut-être se comprendre comme le massacre devenu régulier, organisé, de tous les sentiments "nobles "qui faisaient notre "Humanité"...