Rappelons en effet qu'il y a trois ans, la Monnaie vivait sous tente pendant les travaux de rénovation du théâtre, et que la production d'Àlex Ollé (collectif Fura del Baus) avait alors été jugée trop imposante pour tenir sous le chapiteau installé à Tour et Taxis. C'est dire si le gigantisme de la scénographie était destiné à faire parler de lui...
Reconnaissons-le tout de go : le décor est en effet grandiose. Dans une sorte d'arène bolchévique laissée à l'abandon et ensevelie sous la neige d'une ère glaciaire ayant décimé l'humanité, trône un cylindre gigantesque qui s'abaisse et s'élève, dans des jeux de lumière majestueux, au rythme des tours et détours de l'action. Grandiose, certes, mais monotone, car le décor se résume à cela et, une fois passé l'effet de surprise que provoque immanquablement la découverte d'une telle installation, le dispositif scénographique a tôt fait de paraître un déluge de moyens confinant au gadget.
La mise en scène est à l'image du décor : statique, lente, empesée. Si l'émotion est palpable dans quelques scènes magistralement construites - comme le procès de Justine et son impressionnante pendaison -, c'est plus souvent l'ennui qui prédomine, voire une forme de lassitude face à un langage scénique très académique. Ajoutons à cela un usage parfois intempestif de la vidéo, et l'on retrouve dans cette production tous les tics et poncifs d'un certain théâtre contemporain qui se prend sans doute un peu trop au sérieux.
Le spectacle n'est pourtant pas dénué de qualités. À une réflexion brûlante d'actualité sur la place de la technologie dans les sociétés humaines, s'ajoutent une belle intensité et un engagement émotionnel fort dans le chef des chanteur-se-s. Saisis à fleur de peau, les personnages qu'ils campent étalent sous les yeux des spectateurs leur fragilité et les méandres de leur intériorité.
Dans une distribution très solide, signalons les performances de Topi Lehtipuu dans le rôle - difficile s'il en est - de la Créature et d'Eleonore Marguerre dans celui d'Elizabeth, la fiancée de Victor Frankenstein, qui, même si elle jouit du privilège de chanter les pages les plus lyriques de l'œuvre, montre une réelle maîtrise dans l'exploration vocale des nuances du sentiment amoureux.
Outre ces quelques pages immédiatement séduisantes, Mark Grey offre, avec ce Frankenstein nouveau, une expérience sonore très immersive, une plongée dans l'épaisseur palpitante de la musique, là où la frontière entre le bruit et l'harmonie se fait vibrionnante. Dirigée par Bassem Akiki à la tête de l'orchestre symphonique de la Monnaie, enrichie d'une expérience audiovisuelle mémorable, l'œuvre du compositeur américain se révèle être, elle aussi, une Créature authentiquement vivante.