D’emblée, on se dit que Lisaboa Houbrechts aspire avant tout à briser les codes qui régissent couramment l’approche de cette tragédie. Ensuite, vers la fin, on se dit qu’il s’agissait bien de cela lorsque sont réellement brisés sur scène les crânes manipulés par les fossoyeurs et qu’Hamlet aurait dû utiliser pour son fameux monologue de « To be or not to be ».
D’abord, l’approche. La mère d’Hamlet, Gertrude, affirme haut et clair qu’elle est innocente de l’assassinat de son mari mal aimé et que son remariage avec le frère de celui-ci la met sous la coupe d’un mâle tyrannique pour des raisons d’état. Elle s’avère aussi manipulée par son fils. En plus de ce parti pris féministe, la distribution des rôles de cette famille royale hors normes sont interprétés par une véritable famille d’artistes de spectacles vivants.
Ensuite leur jeu – outre le fait que le père d’Ophélie soit incarné par une femme – s’éloigne de la pratique habituelle. Un certain nombre d’entrées et de sorties sont effectuées non point comme celles de personnages de fiction mais bel et bien comme celles de comédiens n’ayant pas encore ou n’ayant plus revêtu l’identité des protagonistes de Shakespeare.
Les autres actions se traduisent par une gestuelle qui ne craint nullement de s’écarter du réalisme. Elle navigue entre chorégraphie contemporaine et performance physique, expressionnisme et dérision, interprétation psychanalytique et symbolisme.
Les costumes synthétisent assez la volonté de la metteure en scène de signifier des liens avec des réactions psychologiques, des évocations enfouies derrière des similitudes et des oppositions de couleurs. Ainsi sont d'identique coloration les habits de la reine et ceux d’Ophélie. Ainsi le rideau derrière lequel Polonius est censé se cacher avant de se faire assassiner est-il transposé en robe sous laquelle il se dissimule et dans laquelle Hamlet plante son épée : image complexe de connotations freudiennes.
La crudité ne répugne pas les dialogues. Les cris suscités par les émotions des événements tragiques sont davantage animaliers qu’humains. La scénographie ne présente pas un royaume en décrépitude mais une sorte de planète poubelle ponctuée de formes abstraites à réminiscences géographiques, dont le sol, comme l’humeur des personnages, est susceptible de passer en un instant du noir étouffant au blanc éclatant.
La densité de la réalisation est imposante. Surtout si on y inclut le poids sonore d’une musique à la hauteur de l’atmosphère de l’intrigue. Les pistes proposées à la sagacité du public se dispersent. Elles sont trop diverses pour former un ensemble cohérent. On ressort interloqué, intéressé, déconcerté mais pas forcément convaincu.