Critique - Théâtre - Charleroi
L.U.C.A.
Efficace et plaisante leçon de généalogie génétique
Par Michel VOITURIER

Il fallait deux fameux gaillards pour allier rigueur de la science et fantaisie de la scène. Les voilà : Guerrisi et Carnoli. Qui sont-ils ? Qui sommes-nous se demandent-ils ? Qui sont-ils nous demandons-nous ?
Ils se croient Italiens. Ce n’est évident ni par leur physique, ni par leur accent. Leur nom, sans doute. Pas leur apparence. L‘un pourrait être Irlandais ; l’autre Maghrébin. Mais ils sont Belges. C’est pourquoi, après avoir fait réellement analyser leur ADN, Hervé Guerrisi et Grégory Carnoli partent en expédition, explorateurs de leur origine. Afin de savoir vraiment.
Ils se lancent d’abord dans l’autobiographique. Souvenirs d’enfance ou du présent récent. Anecdotes vécues et commentaires idoines épicés d’humour. Déclinaison des situations comiques, ridicules, abracadabrantesques du sempiternel questionnement : « Tu viens d’où ? » Car l’identité d’un individu est ce que chacun recherche pour soi-même dans la mesure où les autres, individus eux-mêmes ou institutions, ont tendance à le définir à partir de cette information-là.
Alternant les séquences de dialogues au tac au tac et les solos entrecroisés, les deux compères s’amusent manifestement. Alternant les moments d’auto-fiction ou de comédie et la concrétisation en actions d’une réflexion intellectuelle à propos de la généalogie ou de la génétique, les deux compagnons rendent plaisante une démonstration rationnellement ardue. Ceci sans jamais perdre de vue qu’un subtil dosage de caricature caustique et d’évocations émotionnelles touchantes aide à faire comprendre plus vite que n'importe quelle élaboration cérébrale pure.
Effets variés pour objectif unique
La mise en scène incite Hervé et Grégory à s’approprier le plateau. Ils s’y déplacent sans cesse, jusqu’à utiliser sa périphérie, coulisse et hall d’entrée de la salle compris. Ils sont soutenus par une très variée série d’éclairages spécifiques à chaque scène, jusqu’à même profiter de certains noirs. Il leur arrive d’insérer le réel : en se préparant un vrai café à l’italienne. Ils s’avèrent figés, mobiles, proches, éloignés, accroupis, agenouillés pour écrire sur le sol, debout sur une chaise, associés dans une chorégraphie… Tout ceci pendant qu’ils arpentent le temps, explorant siècles et millénaires jusqu’aux origines de l’humanité.
Une technologie discrète les épaule. L’arbre généalogique qu’ils confectionnent au moyen d’un gros marqueur blanc sur le plancher noir, une caméra la projette sur l’écran géant qui sert de fond de scène. Une autre projettera les dessins animés qui illustrent des mutations cellulaires dans une atmosphère cosmique et poétique que souligne la création sonore signée Ludovic Van Pachterbeke.
Objectif final atteint : démonstration est faite que des caractéristiques sont communes à l'ensemble des humains. Quiconque sort donc de cette représentation en conservant la croyance qu’il existe des races, qu’elles sont incompatibles entre elles parce que certaines sont supérieures à d’autres, devrait faire tester son fonctionnement mental. Plus efficace que toutes les campagnes antiracistes, plus évident que tous les raisonnements théoriques, ce spectacle se révèle d’utilité publique.