Critique - Théâtre - Bruxelles
Ariane(eu)phonie
Les héros antiques ne meurent jamais...
Par Suzane VANINA
Alors que dès l'entrée en salle du spectateur, un puissant fond sonore est déjà présent, un petit coup d'oeil au programme papier ne lui sera pas inutile. Il est rappelé que Pietro Marullo, metteur en scène, chorégraphe, performeur et plasticien, n'est pas un inconnu.
Du reste il persiste et signe: le sort des "migrants" au sens large, le préoccupe toujours autant. Après "Arance–Avoid shooting Blacks"* et "Wreck–List of extinct species", voici un autre volet de ce qui va devenir un ensemble cohérent au fil du temps. Son point de départ ici est l’accord du 18 mars 2016 sur "les flux migratoires", conclu entre la Turquie et l’Union Européenne, et qui aboutit à la création de camps de réfugiés en Grèce.
On saura que le spectacle - éminemment onirique tout en faisant appel aux sens et aux matières - est divisé en deux parties : la première qualifiée de "boîte noire" ou l'actualité, le concret, sont abordés et la seconde partie, la "boîte blanche" qui fait référence à la mythologie. Le point commun, la Crête, haut lieu de convergence du réel et de l'imaginaire... Aucune participation vocale directe des comédien/ne/s sur scène; les dialogues sont soit en voix off, soit projetés en surtitrage.
La "boîte noire", c'est ce grand camp ultra sécurisé, véritable "parking humain" fait de containers, dans lequel une jeune assistance sociale/Mélissa Cornu s'efforce d'enseigner la culture et l'alphabet grecs à des enfants sans avenir tandis qu'une équipe d'apiculteurs se livre à des expériences chimiques étranges "grâce" à un miel noir d'abeilles malades : nous voilà déjà dans la symbolique d'un monde où l'animal se meurt...
La jeune assistante se sentant impuissante face à la détresse, va alors entrer en dépression et l'oreille humaine,"ce lieu où réside le sens de l’équilibre, "porte d'entrée des vibrations du monde" et de sa perception, lui devient littéralement insupportable... Elle se mettra à revisiter l'histoire de ce sol mythique, "berceau de l'humanité", la Crête.
"Le son traverse les corps sans les détruire"(Dédale à Pasiphaé)
Dans la "boîte blanche", nous versons véritablement dans l'histoire légendaire, les symboles et les mythes. Ariane, fille de Minos et Pasiphaé, n'est pas la plus connue des héros mythologiques, mis à part son célèbre fil reçu de l'architecte Dédale et qui aura raison du Labyrinthe... Thésée, héros national, la supplante dans la renommée mais elle est toutefois un symbole de libération d'une tyrannie et annonciatrice de changement.
Place est faite à toutes les techniques "naturelles" (oublié l'usage de la vidéo !): visuelles (lumière de Pietro Marullo, Eric Vanden Dunghen) et sonores (Jean-Noël Boissé) ainsi que tissus, costumes, matières diverses... fort bien exploitées dans une scénographie impressionnante de Sabine Theunissen, Pietro Marullo, Marine Fleury.
Au fil de ses créations, Pietro Marullo impose son style personnel, déroutant, voire dérangeant peut-être car il veut éveiller les consciences par un esthétisme affiché, mais tout à fait fascinant et envoûtant pour peu que l'on se laisse entraîner dans cette sorte de rêve éveillé fait d'images terribles ou merveilleuses...