Critique - Théâtre - Bruxelles
La petite fille de Monsieur Linh
Exode, exil, expérience humaine
Par Suzane VANINA
C'est l'histoire de Monsieur Linh, fuyant son pays natal (non précisé, vraisemblablement le Vietnam) racontée par un Narrateur. Donc on aurait pu s'attendre à voir un conteur laissant parler les phrases courtes, les mots simples, l'ambiance créée par l'auteur*. Guy Cassiers en fait un spectacle qui est bien davantage qu'un seul-en-scène.
Jérôme Kircher entre tout simplement sur scène, comme s'il retrouvait de vieux amis. Sans élever le ton, il évoque ce Monsieur Linh, vieil homme asiatique: "Debout à la poupe du bateau, il voit s'éloigner son pays, celui de ses ancêtres et de ses morts, tandis que dans ses bras l'enfant dort". Le pays s'éloigne... L'enfant a pour nom Sang Diû, qui signifie "Matin Doux". C'est souvent sur un ton de confidence, dans une intimité complice avec le public captivé, que le comédien continuera le récit.
Survivant de sa famille, Monsieur Linh a tout perdu dans son pays dévasté. Maintenant, il est seul dans un pays inconnu avec ses coutumes, ses codes sociaux déroutants. Mais, alors que tout les oppose, une amitié improbable naîtra entre lui et un certain Monsieur Bark, un "autochtone". Ils ne parlent pas la même langue, n'ont pas la même culture, mais un point commun les réunit : ils sont seuls tous les deux, et puis... leur intuition fonctionne; ils se comprennent sans mot dire.
Une douce ironie baigne le récit, comme quand Monsieur Bark raccompagne Monsieur Linh jusqu'à son lieu d'hébergement, et que là, suite à un malentendu, "les deux hommes se disent longuement au revoir en se disant "bonjour"... Outre le thème du déracinement, celui de la solitude est bien présent, jusqu'à la fin... surprenante et touchante.
Thème européen ? Thème universel !
Depuis sa création au Bourla (Anvers, 28/09/2017), cette version en néerlandais a beaucoup voyagé, en Belgique néerlandophone (Hasselt, Leuven...) et aux Pays-Bas (Amsterdam, Rotterdam...) avant la Première de sa re-création en version française, et parait-il, une version espagnole en préparation.
Chaque fois, le metteur en scène opte pour que chacune des versions soit au plus près à la fois de l'auteur, Philippe Claudel, et de l'interprète, ici le Français Jérôme Kircher, afin qu'elle colle au mieux avec la culture, l'ambiance du pays.
Avec ses partenaires coproducteurs, il dit se laisser "influencer par une autre langue, un autre comédien, un autre public". N'empêche, on reconnait bien sa patte, son style, ce subtil et délicat mélange de sobriété distanciée et de recherche scénographique et dramaturgique où les sons "in live" (par l'acteur) et les images prennent une part originale.
L'emploi du grand écran en fond de plateau est bien plus qu'une mode ici; des dialogues essentiels entre infirmière (parcellaires) et interprète (plus compréhensibles) sont projetés, de même que ce sont deux Jérôme Kircher que l'on verra en projection simultanée (2 caméras: une à jardin, une à cour) devenant deux personnages différents et semblables pourtant...
Ce récit au présent accroche pleinement et celui qui le conte s'est mis tout entier à en rendre toute la saveur au spectateur.