Il semble que la science-fiction (anticipation, utopie, contre-utopie) et ses sujets-bateau, revienne sur les plateaux de théâtre... On a vu récemment quelques spectacles traitant de divers aspects du futur, ou du présent de l'écologie*, mais le plus souvent, le(s) thème(s) y étaient abordés de manière moins frontale et directe. "Obsolète" met en scène trois personnalités bien campées, avec leur questionnement au quotidien et leurs essais d'application pratique de leurs idées et valeurs.
Un plateau envahi d'un mobilier et d'objets hétéroclites, l'image n'est pas rare, mais ici, chaque chose prend sens, y compris sous forme positive d'une démonstration de production d'énergie par une bicyclette ou, a contrario, par la présence de jus d'orange Monsanto, de plastique, d'aluminium et d'une machine à café tout à fait énergivore et même dangereuse... Rien n'est inutile dans cette démonstration ludique.
Acteurs et interprètes se confondent, ils ont gardé leurs noms et font appel à ce qu'ils vivent dans leur réalité propre, ce qui donne un impact certain à ce qu'il disent et font... Ils n'arrêtent pas de bouger, de manipuler une multitude d'objets utilitaires à "obsolescence programmée" qui trichent sur leur aspect (plante verte en plastique...etc), mais surtout renferment d'autres lourds secrets de fabrication.
Tout leur devient suspect, on frise la phobie, l'angoisse obsessionnelles (qui en deviennent ridicules), et dans un premier temps, c'est la benne à ordures (elle-même imitant le bois) qui les soulage... Mais est-ce vraiment la solution ? Après la surconsommation, gaspillage et pollution sont les dérives sournoises de cette action "produits propres" !
Agir, oui, ils le veulent, mais comment ? Ils désireraient secouer l'apathie ambiante, l'invraisemblable lenteur à une prise de conscience réelle, mais se heurtent à des paradoxes. Eux-mêmes, comédien/ne/s, ne donnent-ils pas de leur personne en acceptant de faire la promotion de firmes & produits : une voix off le dénonce, des vidéos très drôles en témoignent...
On distingue trois parties à cette pièce : le vécu du trio en 2016, la projection des mêmes catapultés en 2070 et leur retour brutal à l' "Ici et maintenant". La première partie met en valeur ceux qui se se disent "les enfants de la génération 68, la dernière peut-être dont l’action a clairement fait bouger les lignes". Ils s'interrogent sur leur propre inertie et sur d'autres sujets graves et plus généraux, mais ils le font avec beaucoup d'intelligence et d'humour.
Dans la deuxième partie où acteurs et spectateurs sont plongés dans un avenir privé du sacro-saint Confort, de la fameuse Sécurité, les comédiens deviennent des as de la débrouille en vrai, pédalant vigoureusement pour assurer un éclairage minimum sur le plateau !
Leur vision sur ce monde imaginaire est à ce point catastrophique (ambiance glauque qui n'est pas sans rappeler celle du L.M. visionnaire "Soylent Green" de Richard Fleischer... sorti en 1973 !) qu'Alice craque et que tout le monde est ramené au présent, au soulagement de tous. Et c'est alors une courte troisième partie.
Elle aurait pu être moralisatrice, didactique voire culpabilisante, mais elle se contente habilement de placer chacun, acteur, spectateur, face à son "engagement"... comptant sur la magie du conte de fées pour faire oublier que croquer la jolie pomme rouge "24 fois génétiquement modifiée", c'est avaler du poison pour nous tous, pauvres Blanche-Neige...
Un collectif qui a pour nom et annonce: "Rien de spécial"...*
Un titre ironique car même si les membres du groupe abordent des thèmes liés à leur propre vie (celle de tout un chacun), ils ont bien des choses plus générales à dire et à remettre en question..., les Alice Hubball, Marie Lecomte, Hervé Piron et consorts... tous partenaires fidèles.
La scénographie est de Prunelle Ruelens, ainsi que les costumes (dont des "faux-nus" !) mais aussi la lumière de Joël Bosmans, le son de Maxime Bodson, l'animation vidéo de Laurent Talbot... soit un vrai travail en étroite complicité.
Ils se sont en partie inspiré de "The Road" (en français "La Route", en 2007, bet-seller encore en 2010) de Cormac McCarthy, gros succès et Prix Pulitzer. Ils n'ont toutefois pas adopté le ton sombre de ce grand auteur américain (encore trop méconnu) "prophète en son pays" et "révélateur d'une angoisse collective"...Tout au contraire !
Le projet est porté par des artistes qui ont de l'humour et de l'inventivité, pratiquent le second degré et l'auto-dérision et ne se prennent pas au sérieux. Pas de culpabilisation dans "Obsolète" mais pas non plus de réconfort avec des solutions miracle... une réflexion ouverte et du rire, léger, même si c'est parfois du rire jaune.
Aucune piste ne sera proposée. Mieux, on restera dans le paradoxe jusqu'au bout puisque le présent spectacle est... assez polluant : lumière, décor, promotion papier...Les actions concrètement positives viendront des animations, ateliers, concerts, repas et rencontres acompagnant le spectacle.
Entre autres, une question toute simple restera en suspens: "Pourquoi est-ce si difficile de changer ses habitudes ?"