Critique - Théâtre - Limoges
Richard III, Loyaulté me lie
Shakespeare est une fête
Par Aurore CHERY

Tout en vert émeraude et rouge rubis, un précieux décor de fête foraine se déploie. C'est un décor royal, bien évidemment, plus proche de l'oeuf de Fabergé que de la Foire du Trône. A Fabergé, il emprunte notamment de multiples trouvailles mécaniques et techniques. On presse sur un bouton et une nouvelle délicate surprise apparaît : animations stroboscopiques, marionnettes, ballons et barbes-à-papas parlants ne sont qu'un aperçu de ces petites merveilles. La collaboration active du plasticien Stéphane Blanquet et du compositeur Jean-Luc Therminarias contribue pour beaucoup à faire de ce spectacle un enchantement, un régal visuel et sonore.
Nulle autre attraction ne sied mieux au Richard III de Shakespeare que la petite maison des horreurs. C'est donc là que l'on suit le parcours de ce prince qui se fraie un chemin jusqu'au trône à coups d'assassinats perfides, de trahisons et autres cruelles bassesses.
Richard III, c'est Jean Lambert-wild lui-même, au propre comme au figuré puisqu'il l'incarne en même temps qu'il le considère comme une sorte de double. En effet, il sait voir la poésie du personnage au-delà de la monstruosité de ses actes. En cela, il s'appuie également sur le Richard historique, qu'il a découvert dans la biographie de Paul Murray Kendall.
Sa devise, "Loyauté me lie", devient le sous-titre de la pièce. Il partage notamment avec lui son penchant pour les présages et leur accorde une grande place dans sa manière de travailler. Il ne croit pas au hasard et c'est donc plein d'une conviction prophétique qu'il a demandé à la comédienne Elodie Bordas de le rejoindre, à peine avait-il fait sa connaissance. Interprétant la plupart des autres rôles de la pièce, tant féminins que masculins, elle réalise une performance exceptionnelle tout au long de ce spectacle. L'énergie qu'elle déploie, sa capacité à passer instantanément d'un répertoire burlesque à un autre plus pathétique est fascinante. Il serait cependant regrettable de ne retenir que la prouesse, car Elodie Bordas sert surtout avec beaucoup de justesse le texte de Shakespeare auquel elle rend toute sa puissance émotive.
Ce texte, justement, a bénéficié d'une nouvelle traduction de Gérald Garutti. Il se veut plus proche encore de l'esprit, de sa poétique, que de la lettre. La mise en scène et la scénographie s'inspirant de ce même esprit, on a vraiment l'impression d'être face à une oeuvre totale où tout est en symbiose.C'est sans doute ce qui rend ce Richard III véritablement exceptionnel. Cette symbiose est permise par une méthode de travail collaborative, dans laquelle chacun est concrètement impliqué dans la mise en scène. Comme le souligne Lorenzo Malaguerra, qui a notamment participé à la direction d'acteurs, c'est "ce qui permet de ne pas placer son ego au mauvais endroit".
La méthode paraît simple, c'est pourtant celle du succès tant ce spectacle est une réussite complète. Texte, interprétation, scénographie, effets sonores, tout est porté à son plus haut degré. Dès lors, l'armure de porcelaine de Richard III, clin d'oeil à la ville de Limoges qui accueille désormais Lambert-wild, est la cerise sur le gâteau et non un artefact superfétatoire. Elle témoigne, tout simplement et magnifiquement, de la générosité de ce metteur en scène véritablement tourné vers l'autre, quel qu'il soit. Il est bien regrettable que ce ne soit pas plus souvent le cas ailleurs, on se prive ainsi de grands moments de théâtre.