Certes pour un classique, c’est un classique. Propulsé dans le temps par son incommensurable succès initial, il a été relayé dans les siècles par toutes les générations d’acteurs, chacune donnant en écot une version référence à la légende de l'œuvre. Ces dernières années, Cyrano a été quelque peu malmené dans des versions allant de la bouffonnerie grotesque à la mièvrerie d’un romantisme exacerbé où le héros, de grandes poses en gestes larges, d'effets de manche en rodomontades, paraissait dans le fond être son propre spectateur.
Perdant, ici et là, finesse, nuances, complexité, il perdait finalement aussi en épaisseur. Toute chose que lui rend magnifiquement Anthony Magnier, acteur et metteur en scène. Pas un instant il ne se contemple et rend vraie cette expression galvaudée au 7ème Art, il "est" Cyrano. Le spectateur qui en a vu d'autres le quitte avec la sensation d'avoir fermé le livre.

Inventivité et brio
Pourtant, point de décors monumentaux à disposition. C’est avec du bois et du tissu que le metteur en scène fait surgir du néant les différents tableaux au son du violon de Blandine Iordan. Ces changements de décors très inventifs deviennent intéressants. Combien sont-ils pour mener à bien cette conséquente entreprise ? Non pas des dizaines mais seulement huit, dont l’instrumentiste.
C'est aussi ingénieux et efficace, dans l'usage des changements de costumes et d'accessoires. Les acteurs en tirent un effet comique et gomment ainsi le côté parfois "ampoulé" de la pièce. Les mots reprennent leur envol, ils sont bien là, vivent, décollent. Ils retrouvent la légèreté, la force et finalement l’émotion.
Émaillée de trouvailles cocasses, comme le carillon de porte chez Ragueneau (Acte II), ou l'échange Robin-Rollin entre Cyrano et le moine (Acte III), impeccablement servie par les comédiens (bien que Christian, excellent dans les phases où il est offensif, semble un peu trop souffrir dès lors qu'il est la proie du doute), cette vision de Cyrano, créée en décembre 2010, est un succès.